mercredi, mars 01, 2006

Le mythe de Narcisse et le narcissime ou comment devenir pédéraste

Pour commencer, il faut vous narrer l'histoire de Narcisse, fils de Céphise et de la nymphe Liriopé, qui reçoit à sa naissance le don d'être aimé des nymphes.
Sa mère, soucieuse de son bonheur, va consulter l'oracle Tirésias, qui lui révèle que son fils ne vivra une longue vie que s'il ne se connaît pas. Narcisse grandit et devient un jeune homme magnifique, dont tous, nymphes comme éphèbes, tombent amoureux. Mais Narcisse est aussi dédaigneux que beau et repousse leurs avances. Il délaisse peu à peu ses compagnons, dont il ne comprend pas les désirs.
Echo, la nymphe qui ne peut parler qu'en répétant les paroles d'autrui, tente, elle aussi, de le séduire et rejetée, se consume d'amour jusqu'à n'être plus que la voix sans corps que nous connaissons. Une autre nymphe, elle aussi éconduite, souhaite que le bel enfant, à son tour, se consume d'amour pour un objet inaccessible. Son souhait est exaucé quand Narcisse, altéré par une longue chasse, voit son reflet dans le lac où il veut étancher sa soif. Il s'éprend alors de ce beau jeune homme mais, lorsqu'il veut l'étreindre, l'autre –son reflet-, s'éloigne. Narcisse voit pourtant qu'il n'est pas insensible, puisque à ses larmes répondent les larmes de l'image aimée, que les mots d'amour qu'il murmure lui sont renvoyés, mais lorsqu'il veut embrasser son amant, celui-ci disparaît. Narcisse comprend que celui qu'il aime n'est autre que lui-même, et souhaiterait n'être plus lui-même pour ne plus être l'autre.
Désespéré par cet amour impossible, il se frappe la poitrine et se lamente. Lorsqu'une de ses larmes tombent dans le lac et brouille le reflet aimé, il se couche dans l'herbe et se laisse mourir. L'on dit qu'aux Enfers, Narcisse se regardait encore dans les eaux du Styx. Lorsque les nymphes voulurent porter le corps sur le bûcher funèbre, elles ne trouvèrent qu'un narcisse.

Pourquoi cela nous intéresse-t-il ? Parce que c'est à partir de ce mythe que Freud fonde sa théorie du narcissisme, stade auquel est censée se jouer l'homosexualité. Ainsi, Freud distingue plusieurs stades dans la construction du désir. Notre libido est dans un premier temps tournée vers nous-même, c'est la libido du moi, pour ensuite se tourner vers l'autre et devenir une libido d'objet. La libido homosexuelle serait "une variation de la fonction sexuelle provoquée par un arrêt du développement sexuel", c'est-à-dire que l'homosexualité reste encore fortement imprégnée de libido du moi. Freud élabore plusieurs théories de l'homosexualité, dont la plus connue postule que l'homosexualité résulte de la non résolution du complexe d'Œdipe, éventuellement due à un manque de modèle identificatoire masculin (exemple : père distant et mère surprotectrice). L'enfant désire la Mère, mais craint le Père, et reste dans ce désir. L'interdit rendant ce désir impossible, il renonce au sexe opposé et se tourne vers on propre sexe. Autre possibilité : du fait de cette fixation sur la mère, il s'identifie à elle et adopte ses désirs pour le sexe masculin. Enfin, troisième éventualité envisagée par Freud, l'enfant surprotégé développe une peur de l'autre sexe et se tourne vers les hommes par sécurité. Ceci toutefois n'a rien d'une explication miracle. En effet, si l'homosexualité est déterminée par le facteur familial, comment expliquer que deux frères n'aient pas nécessairement la même sexualité ?
Si Freud fonde l'homosexualité sur un manque (manque du père chez le petit garçon), il se garde bien de la stigmatiser comme une maladie. Dans une lettre de 1935 adressée à une mère dont le fils est homosexuel, il dit que "l'homosexualité n'est ni un vice, ni un avilissement, et on ne saurait la qualifier de maladie".

Mais d'autres théoriciens de la psychanalyse se sont fait un plaisir de reprendre l'idée d' "arrêt du développement sexuel" pour faire de l'homosexualité une psychopathologie, certes dangereuse, mais souvent curable, et en tout cas classifiable. Ainsi, l'honorable M. Kernberg, dans La personnalité narcissique (éditée aux éditions Dunod en 1997) dénombre trois types de "lésions narcissiques", souvent infligées à l'adolescence, qui peuvent rendre des gens très très biens homosexuels. Ses catégories recoupent parfois celles de Freud. Par exemple, il est question d'une homosexualité liée à l'identification à la mère. Pour information, les deux autres types d'homosexualité recensés sont :
-la soumission au père œdipien, et, de ce fait, le renoncement aux femmes
-le fait de projeter une image de soi magnifiée sur l'autre, que l'on aime en tant qu'extension de soi.
Soit. Mais ce qui fait grincer des dents et que l'homosexualité est nettement envisagée comme un mal plus ou moins curable, provenant obligatoirement de "lésions". Ainsi, la troisième cause d'homosexualité est "encore plus pathologique que les deux autres", et n'est pas curable, nous apprend M. Kernberg !
Or, d'autres études ont prouvé qu'il n'est pas nécessaire d'avoir la moindre lésion pour être homo. Evelyne Hooker, en 1958, a administré une batterie de tests psychologiques à deux échantillons d'hommes, homosexuels et hétérosexuels, puis en a envoyé les résultats mêlés à plusieurs experts. Ceux-ci devaient évaluer la santé mentale de chaque individu et déterminer s'il était homo ou hétérosexuel. Non seulement les experts s'avérèrent incapables d'établir leur sexualité à partir des tests, mais la santé mentale des individus des deux groupes était équivalente. Donc, être homosexuel n'a rien d'une pathologie !

Mais alors, si l'explication freudienne n'est pas exhaustive et que l'hypothèse de la pathologie est non fondée, comment devient-on homo ?

L'on a longtemps cherché, et plus activement depuis les années 1850, un facteur biologique (de préférence visible) à l'homosexualité. Naturellement, rien n'a été trouvé à ce jour…
En désespoir de cause, l'on s'est tourné vers le facteur hormonal. Les chercheurs ont été décontenancés lorsqu'ils ont découvert, en 1927, que l'on produisait tous des hormones masculines et féminines. La conclusion logique a été : l'homosexualité est un dérèglement hormonal. E bien non ! L'on a administré des hormones féminines à des hommes homosexuels, qui le sont restés. De même que les lesbiennes à qui l'on a administré le traitement inverse, d'ailleurs.
Enfin, depuis une quinzaine d'années, l'on creuse la possibilité d'une explication génétique. Ces études posent d'emblée un problème méthodologique : la génétique oblige à travailler sur des familles, ce qui peut interférer avec le facteur explicatif de la structure familiale. Ceci posé, l'on a pas encore trouvé de résultat concluant. Par exemple, l'on a prouvé que dans le cas de frères jumeaux, si l'un des deux frères est homosexuel, il y a 52% de chances qu'ils soient tous deux homos si ce sont de vrais jumeaux, contre 22% de chances si ce sont de faux jumeaux. Le facteur génétique serait alors déterminant ? Et bien non, car la même étude menée sur des femmes lesbiennes n'a rien donné. De plus, même en ce qui concerne les hommes, les études faites sont trop marginales pour être concluantes.
Quoi qu'il en soit, l'on aperçoit dès à présent le danger qu'il y aurait à trouver un facteur scientifique à l'homosexualité : outre les risques de discrimination, considérer l'homosexualité comme un fait donné contre lequel on ne peut rien est très réducteur, qui occulte une partie du problème. Et les facteurs familiaux, culturels ? Et les changements tardifs d'orientation ? Cependant, une des études sur l'innéité de l'homosexualité reste intéressante pour les pistes qu'elle ouvre. L'on a suivi deux groupes d'environ 40 garçons entre leurs sept et leurs quatorze ans. Dans l'un de ces groupes sont réunis les garçons dont l'entourage s'accorde à dire qu'ils ont des conduites plutôt "féminines" (par exemple, aimer jouer à la poupée), dans l'autre, d'autres garçons n'ayant pas ce trait. La moitié des garçons du premier groupe sont devenus homos, tandis que les enfants de l'autre groupe sont presque tous devenus hétéros. On peut donc penser qu'il y a une corrélation assez forte entre avoir des comportements sociaux dits "féminins" dans l'enfance, et devenir homosexuel. Cependant 50% de ces enfants sont devenus hétérosexuels. L'on a expliqué cela en mêlant psychanalyse et homosexualité innée : ces enfants ont des comportements féminins, ils sont donc le plus souvent avec des filles, et, surtout, sont rejetés par les autres garçons, et parfois même leur père. D'où la résolution imparfaite du conflit œdipien. Mais rien à ce jour n'explique pourquoi ces enfants préféraient certaines activités perçues comme féminines…

Ce dernier exemple nous montre à quel point sont imbriqués les facteurs sociaux (rejet de ces garçons par les autres), familiaux (rejet par le père), et des facteurs d'innéités… Ce qui est sûr, c'est que toutes civilisations confondues, sur les deux derniers siècles, l'homosexualité semble un phénomène continu puisque les pourcentages restent étonnamment stables : entre 2 et 4%. Pour finir, l'on peut soulever un autre problème, qui est la définition de l'homosexualité par rapport à des genres établis, que la notion du transgenre vient remettre en question.

Aucun commentaire: